2ème partie : la viticulture à Ste Eulalie

vigne et bourg_1965          L’embellie que connut la viticulture eulalienne après1850 ne dure pas puisque le nombre d’hectares cultivés en vignes ne cesse de se réduire tout au long du XXème siècle parallèlement à la diminution des propriétaires déclarants. En 1937, ce sont 152 habitants de la commune qui déclarent une récolte de vin pour une superficie représentant 43 % des 906 ha du territoire communal ; en 1970, on recense encore 81 viticulteurs qui travaillent 205 ha de vignes mais ils ne sont plus que 45 exploitants en 1995 pour 21 % de la superficie communale. En 2006, seulement 24 familles cultivent 14 % du sol communal en vignoble. On constate ainsi qu’il fut une époque allant du début du XXème siècle jusqu’aux années 1950 où pratiquement toutes les familles eulaliennes faisaient leur propre vin, élément marquant de l’identité communale et d’un mode de vie rural.

          Toutefois, dans la période récente, plusieurs raisons font que la viticulture est de moins en moins viable dans notre commune. Une enquête agricole menée en 1995 montre que la superficie moyenne d’une exploitation à Ste Eulalie était de 6,13 hectares, donc inférieure à la Surface minimum d’installation officielle qui s’élevait à 9 hectares pour l’Appellation d’Origine Contrôlée - Premières côtes de Bordeaux et nettement moindre que les 30 hectares moyens par exploitation du département de la Gironde. En 2006, 2/3 des déclarants eulaliens exploitent moins de 4,5 hectares et seulement 4 viticulteurs ont plus de 9 hectares cultivés en vignes.

          A cette nécessité d’une surface minimale suffisante pour rentabiliser l’activité, s’ajoutent les réglementations qui obligent à des investissements conséquents et à une amélioration constante de la qualité pour l’obtention des labels. Les moyens techniques mis en oeuvre ont cependant permis une nette amélioration des rendements qui ont été multipliés par 10 entre 1937 et 2006. Ceci permet aux 24 viticulteurs qui restent en 2006 de produire 17 532 hectolitres de vin, dont 19,4 % sont déclarés en AOC Premières côtes de Bordeaux.

           Le vieillissement des agriculteurs pose aussi la question de la pérennité des exploitations, d’autant plus que la pression urbaine consécutive à la croissance de l’agglomération bordelaise fait régulièrement monter le prix des terrains. Une compétition urbanisme - viticulture s’exerce donc sur la commune qui, sauf sur les surfaces inconstructibles protégées par le SDAU, se fait le plus souvent en faveur de l’urbanisation posant là un problème aigu d’identité communale et de qualité de vie.

Auteur : M.Dagens

Elzéar de Sonneville, protecteur des vins de Bordeaux

          Depuis la publication en 1776 de l’ouvrage d’Adam Smith, Essai sur l’origine et la nature de la richesse des nations, les questions du libre-échange[1] et du protectionnisme [2] ont  été longuement débattues par d’illustres économistes tels David Ricardo, Friedrich List, Karl Marx et bien d’autres. Ces questions restent encore d’actualité dans notre société qui s’interroge régulièrement sur les effets de la mondialisation, les risques et avantages des délocalisations, les réglementations à mettre en place pour protéger industriels ou consommateurs.

          EdeSonnevilleEn 1891, au sein de la Société d’agriculture de la Gironde [3], une controverse sur ce même thème oppose M. Farinel, négociant à Bordeaux, à un viticulteur de Sainte-Eulalie, Elzéar Préveraud de Sonneville, bien connu pour ses prises de position en faveur de la viticulture locale puisqu’il avait déjà participé à plusieurs études concernant le régime douanier, le vinage des vins [4] ou encore les traités commerciaux avec la Grande-Bretagne. Cette polémique met en évidence les intérêts divergents des négociants qui n’hésitent pas à mélanger des vins d’origines diverses pour répondre aux attentes de leur clientèle et ceux des viticulteurs de la Gironde préoccupés de la qualité du vin local et désireux d’assurer sa protection. M. Farinel rappelle que ce recours à des vins plus forts en provenance d’Espagne a permis de « remonter nos vins faibles de Gironde », d’assurer les ventes de vins locaux par leur mélange aux vins étrangers plus corsés et de répondre aux besoins des clients suite à la chute de production liée à la crise du phylloxera. A cela, monsieur De Sonneville rétorque qu’il convient d’empêcher la ruine de la viticulture qui a fait des sacrifices «en empruntant toujours et partout pour procurer du pain et du travail à dix millions de vignerons » et s’inquiète de la mévente d’excellents vins en 1890. Il souligne que si les importations de vins étrangers ont été justifiées pendant la crise viticole, ce n’est plus le cas maintenant que la production française de vin est revenue à un niveau suffisant et qu’il est anormal que « douze millions d’hectolitres de vin étranger abreuvent les gosiers parisiens au détriment des vins français ».

Cet affrontement verbal fait suite à un projet de loi présenté par le ministre de l'Agriculture Jules Méline à la Chambre des députés, projet visant à taxer plus fortement les vins étrangers lors de leur entrée en France. Cette proposition soutenue par E. de Sonneville permettrait à l’agriculture française de s’affranchir des traités commerciaux de 1881-1882.  Ainsi Elzéar de Sonneville s’insurge-t-il contre les charges que doivent supporter les agriculteurs français, frais auxquels ne sont pas soumises les importations agricoles. Il souligne également son opposition à l’adjonction d’alcool dans le vin pour en augmenter le degré, pratique répandue chez les négociants permettant, à son sens, l’introduction de « quantités considérables d’alcool en fraude des droits de douane ».

Cette querelle récurrente sur l’opportunité de mesures protectionnistes reste toujours d’actualité en 2008 alors que les vins bordelais sont largement concurrencés par des productions étrangères et que les viticulteurs français affrontent une nouvelle crise.

Auteur : M.Dagens


[1] Libre-échange : pratique commerciale visant à laisser circuler librement les biens, services et capitaux d’un pays à l’autre.

[2] Protectionnisme : mesures diverses (droits de douanes, quotas, réglementations) visant à limiter les importations de produits étrangers dans le but de protéger la production nationale.

[3] Fondée en 1835, la Société d’agriculture de la Gironde réunit des propriétaires et hommes d’affaires préoccupés des questions agricoles. Elle organise chaque année différents concours visant à récompenser les agriculteurs méritants.

[4] Addition d’alcool au vin ou au moût.

- La municipalité élue en 2008, désirant modifier l'organisation du bulletin municipal, a décidé que notre rubrique "Histoire" n'avait plus sa place dans ce bulletin.

 

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